Pourquoi “The Artist” plaît aux USA mais pas en France
Aux Etats-Unis, Michel Hazanavicius et son équipe sont rois : le film totalise un record de 10 nominations aux Oscars, et Jean Dujardin noue une belle amitié avec George Clooney. En France, ils n’ont même pas décroché le peu prestigieux Globe de Cristal. Tout s’explique…
Dans quelques jours aura lieu la 84e cérémonie des Oscars au cours de laquelle l’industrie hollywoodienne va, selon toutes les prédictions, couronner “The Artist”, film français réalisé par Michel Hazanavicius. Pas moins de 10 nominations dont meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur acteur ont été attribuées au long-métrage produit par Thomas Langmann.
La France n’est pas en reste; les “cocorico” et autres “Et un, et deux et trois-zero!” pleuvent dans la presse et sur les réseaux sociaux depuis que le film et son très franchouillard (et talentueux) interprète principal, Jean Dujardin, ont décroché tous les prix anglo-saxons possibles et imaginables (Golden Globes, Bafta, Screen Actor’s guild…).
Il y a, à cet égard, toujours quelque chose d’un peu bêta à voir dans une œuvre d’expression artistique un prétexte à l’hystérie patriotique lorsque l’œuvre est montrée un peu partout dans le monde.
De la même manière qu’il serait stupide de croire que les tensions israélo-iraniennes s’étendent au domaine du cinéma lorsque “Une Séparation” de l’iranien Ashgar Farhadi et “Footnote” de l’israélien Joseph Cedar concourent tous deux dans la catégorie du meilleur film étranger aux Oscars, il me semble problématique de croire que le rayonnement international dont jouit “The Artist” puisse rejaillir sur d’autres Français que ceux qui composent l’équipe du film.
Mais en dépit de cet enthousiasme général et passée la fierté gauloise d’avoir conquis Rome/Hollywood, force est de constater l’indifférence nationale relative vis-à-vis du film lui même.
Entendons-nous bien, “The Artist” avec ses 1, 5 millions de spectateurs lors de sa première sortie, ne peut pas être considéré comme un échec commercial, d’autant plus lorsque l’on sait combien il est à l’heure de la 3D et des bandes-son tonitruantes, difficile de vendre au grand public un film muet en noir et blanc. La deuxième sortie du film programmée pour capitaliser sur le buzz aux USA renseigne d’avantage sur les causes du désintérêt des Français pour le film de Hazanavicius.
Une séance de rattrapage qui ressemble davantage à un rendez-vous manqué puisqu’en dépit de la considérable puissance de frappe de Warner Bros France en terme de distribution (le film a bénéficié d’une deuxième sortie sur plus de 300 salles), d’une nouvelle communication (on a abandonné le romantisme chic de la première affiche pour une approche plus “show” et premier degré) et des innombrables récompenses dont le film peut déjà se prévaloir, les spectateurs français continuent à se faire prier. En dépit de tous ces efforts, le film peine à dépasser la barre des 2 millions d’entrées.
La critique française, elle aussi, a une attitude ambivalente vis-à-vis du film. Même si elle a dans son ensemble, salué la singularité de la démarche de Michel Hazanavicius, elle pointe néanmoins dans une quasi unanimité la dimension trop purement fétichiste de sa réalisation et qui fait de ce film un pari à moitié gagné. Le grand public qui, par ces temps de glaciation économique et climatique, ne peut se permettre de rester assis durant 1h45 devant un film à la froideur citationnelle, préfère en effet continuer à se ruer dans les salles équipées du chauffage central de Olivier Nakache et Eric Toledano.
En fin de compte, si “The Artist” ne parle pas aux Français, c’est peut-être tout simplement parce que ces derniers n’aiment rien tant que les films leur tendant un miroir (fut-il déformant): du “Père Noël est une ordure” aux “Ch’tis”, en passant par “Amélie Poulain” et “Intouchables”, le grand public ne se déplace que lorsqu’on lui montre ce qui lui semble familier.
Le public américain sera, quant à lui, naturellement attiré par les films les plus susceptibles de lui procurer du dépaysement: de “Star Wars” à “The Dark Knight” et “Avatar”, la découverte de mondes nouveaux où le champ des possibles ne connaît pas de limites, est une constante dans l’histoire des plus gros succès du box-office américain.
Même si “The Artist” ne joue clairement pas dans la cour des blockbusters (seule une petite frange du public US, intéressée par le cinéma d’art et essai, était visée par la communication mise en place par les frères Weinstein), il n’en demeure pas moins un voyage dans le temps, un objet grâcieux aux élans nostalgiques (les Américains, de “Forrest Gump” à “The Help”, aiment les films qui posent un regard bienveillant sur leur passé). “The Artist” est un hommage à des pans entiers de la culture du divertissement avec le charme exotique que procure la sensation de voir, pour les spectateurs américains, un film venu d’ailleurs sans avoir à pâtir de la barrière de la langue.
Reste à savoir si les cérémonies des Césars puis des Oscars confirmeront ces tendances. Il est fort à parier que l’académie des Césars aura à cœur de se démarquer de sa consœur hollywoodienne en récompensant pour sa part des films qu’elle juge plus importants d’un point de vue politique et social que les aventures désuètes d’un acteur du muet. Il se pourrait ainsi qu’elle lui préfère l’intensité contemporaine des tranches de vie dans une section parisienne de la brigade de protection des mineurs. Ou les pitreries d’Omar Sy.
Réponses le 24 février pour les Césars et le 26 pour les Oscars.
source : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/318386-oscars-vs-globe-de-cristal-pourquoi-the-artist-plait-aux-usa-mais-pas-en-france.html